Danylo RadchenkoChercheur en mathématiques

Starting Grant
Médaille de bronze du CNRS

Médaille de Bronze du CNRS 2024

Chargé de recherche au Laboratoire Paul Painlevé (LPP1 ).

Quand un ensemble de molécules se fige à basse température, sa structure suit des motifs réguliers. Danylo Radchenko étudie la cristallisation dans des espaces de n’importe quelle dimension. Ces travaux lui valent en 2024 la médaille de bronze du CNRS.

« Mon directeur de thèse, Don Zagier, est un spécialiste des formes modulaires. Pour lui, elles sont partout et pas seulement en mathématiques. Il m’a convaincu et depuis mon intérêt pour ces objets ne m’a jamais quitté », raconte Danylo Radchenko, chercheur au Laboratoire Paul Painlevé (CNRS / Université de Lille / Inria). Aujourd’hui, ces fonctions analytiques sont l’un de ses sujets de prédilection. Et ses recherches sont à l’intersection de plusieurs branches : la théorie effective des nombres, la géométrie discrète, l’optimisation, la combinatoire ou l’analyse Fourier. « J’aime appliquer une idée de l’une de ses théories à une autre », explique-t-il.

Parmi les problèmes qui l’intéressent, un l’occupe beaucoup ces derniers temps : la cristallisation. C’est d’ailleurs le cœur du projet FourIntExP pour lequel il a reçu une bourse ERC Starting Grant« Les atomes d’une structure s’attirent et se repoussent. Mais quand la température baisse, on conjecture qu’ils vont se figer en suivant des motifs périodiques. En formant des cristaux », décrit Danylo Radchenko. C’est la conjecture de Cohn-Kumar. Et cette question se pose autant en trois dimensions que n'importe quelle autre. Avec Maryna Viazovska (médaillée Fields 2022), Henry Cohn, Abhinav Kumar et Stephen D. Miller, ils ont prouvé que cette conjecture est vraie en dimensions 8 et 24.

Ces travaux ont des points communs avec un autre sujet qui intéresse le mathématicien : l’empilement compact des sphères en n’importe quelle dimension, c’est-à-dire comment ranger des sphères en laissant le moins d’espace vide. Dans tous les cas, une sphère est l’ensemble des points à égale distance d’un même point. En 2017, avec les mêmes collègues, ils ont trouvé l’empilement de sphères avec la plus grande densité en dimension 24. Or c’est un problème particulièrement difficile, les empilements compacts de sphères n’ont été trouvés que pour les dimensions 2, 3, 8 et 24.

Danylo Radchenko est tombé dans les mathématiques en classe de 6ème, lorsqu’il participait avec d’autres écoles de Kiev à des concours de mathématiques. « Ce côté olympiade ne m’a jamais quitté, j’aime les problèmes ! Et ce qui me plaît, c’est d’éviter un calcul fastidieux en trouvant une astuce. »

  • 1LPP - CNRS/ULille/Inria

ERC Starting Grant FourIntExP

Une passion précoce pour les mathématiques

Un an à peine après son arrivée au sein des équipes du CNRS, en tant que chargé de recherche au Laboratoire Paul Painlevé de l’Université de Lille, Danylo Radchenko a décroché une bourse ERC Starting Grant pour le projet intitulé FourIntExP. Financée par le Conseil européen de la recherche (European Research Council), cette subvention, octroyée à de jeunes scientifiques, leur permet de réaliser un projet de recherche ambitieux, en constituant une équipe autour d'un thème original.

Particulièrement exigeant, le processus de sélection et d’attribution d’une bourse Starting Grant n’a pas rebuté ce jeune chercheur, habitué à relever des défis intellectuels. Pendant ses années étudiantes en Ukraine, Danylo Radchenko a en effet eu la chance de participer aux Olympiades internationales de mathématiques et au Concours international de mathématiques, où il a décroché des prix prestigieux dans une discipline qui le passionne depuis le plus jeune âge.

« La beauté et complexité des mathématiques m’ont toujours intéressé et ont stimulé mon envie de devenir chercheur dans ce domaine, confie-t-il. Après avoir obtenu ma licence de mathématiques à l’Université nationale Taras-Chevtchenko de Kiev, j’ai poursuivi mes études de master à l’Université de Manitoba (Canada). J’ai ensuite rejoint l’Université de Bonn (Allemagne) pour des recherches doctorales. »

Une solide formation internationale

En 2016, son doctorat en poche, Danylo Radchenko étoffe son cursus, à la tonalité déjà très internationale, avec trois post-doctorats accomplis au sein d’institutions scientifiques parmi les plus prestigieuses en Europe : le Centre international Abdus-Salam de physique théorique à Trieste en Italie, l’Institut Max-Planck de mathématiques à Bonn en Allemagne et l'Institut pour la recherche en mathématiques de l’École polytechnique fédérale de Zurich en Suisse. Puis il a rejoint les équipes du CNRS au début de l’année 2022.

Ces années de recherche lui ont permis d’explorer des domaines mathématiques variés – la théorie des formes modulaires, l’analyse de Fourier et l’optimisation géométrique – au cœur de FourIntExP. Pourquoi ce projet est-il important et novateur ? « Nous allons travailler sur les liens entre ces trois domaines des mathématiques, une direction très nouvelle et encore peu étudiée, en espérant démontrer des résultats mathématiques fondamentaux (en particulier la conjecture de Cohn-Kumar), explique Danylo Radchenko. Cette conjecture intéresse les physiciens car elle permet de prédire la forme que prend la matière ».

Un problème mathématique venu de la physique théorique

Au sein de métaux ou de cristaux par exemple, les atomes s’agencent en effet selon des structures régulières. Et cette organisation périodique ne doit rien au hasard : elle permet de minimiser l’énergie des interactions électromagnétiques entre les atomes, ce qui assure la stabilité de la matière.

Quelles structures un ensemble de particules placé dans un champ de force électromagnétique adopte-t-il ? Et parmi les agencements possibles, quels sont ceux qui minimisent l‘énergie des interactions ? Dans le cas d’un grand nombre de particules ou de géométries tridimensionnelles, la réponse est loin d’être immédiate tant la multitude de configurations possibles à envisager est vaste ! « Pour des configurations plus simples, par exemple en deux dimensions – comme pour des feuilles de métal –, la conjecture de Cohn-Kumar affirme qu’une structure en treillis triangulaire est celle qui minimise l’énergie… mais ce résultat reste à démontrer ! », précise le mathématicien.

Les outils conceptuels de l’analyse de Fourier concernent les fonctions périodiques qui prennent des valeurs identiques à des intervalles donnés, comme dans les cristaux dont les propriétés sont elles-mêmes périodiques. Ces outils s’avèrent particulièrement adaptés pour les problèmes auxquels le projet compte s’attaquer, relatifs par exemple à la théorie des formes complexes – qui concerne des fonctions mathématiques définies pour certaines structures répétitives (comme le sont les agencements de cristaux) – et à l’optimisation géométrique, dont l’objet est précisément de déterminer des solutions possibles à des problèmes de minimisation.

Un projet de recherche aux multiples facettes

« L’originalité de FourIntExP est de s’intéresser à ces différents thèmes de travail et à leurs apports mutuels, pour espérer démontrer la conjecture Cohn-Kumar, indique Danylo Radchenko. Nous avons déjà obtenu des résultats probants dans d’autres cas (en dimension 1, 8 et 24). Forts de ce travail, dont nous avons publié une synthèse l’année dernière, nous avons de bonnes raisons de penser que le résultat manquant (en dimension 2) peut être démontré… ».

Avec un budget de plus d’un million d’euros pour les cinq prochaines années, le mathématicien dispose de moyens lui permettant de s’appuyer sur une petite équipe de recherche pour s’approcher du but.

La bourse ERC représente une formidable opportunité pour un chercheur, celle de bénéficier de renforts pour l’accompagner dans ses travaux. Il me serait impossible de m’attaquer seul à ces questions, explorer des pistes nouvelles ou audacieuses, et espérer atteindre des résultats probants. Je prévois d’embaucher trois post-doctorants pour travailler sur des thèmes complémentaires : il s’agira d’étudier et d’exploiter les liens entre ces différentes directions de recherche…

Avec un budget de plus d’un million d’euros pour les cinq prochaines années, le mathématicien dispose de moyens lui permettant de s’appuyer sur une petite équipe de recherche pour s’approcher du but. « La bourse ERC représente une formidable opportunité pour un chercheur, celle de bénéficier de renforts pour l’accompagner dans ses travaux. Il me serait impossible de m’attaquer seul à ces questions, explorer des pistes nouvelles ou audacieuses, et espérer atteindre des résultats probants, explique Danylo Radchenko. Je prévois d’embaucher trois post-doctorants pour travailler sur des thèmes complémentaires : il s’agira d’étudier et d’exploiter les liens entre ces différentes directions de recherche… ».

Une petite équipe pour relever des défis scientifiques

Ainsi, le projet comporte un volet théorique, qui concerne par exemple les fonctions L, un type de fonctions mathématiques dont les propriétés intéressent autant les mathématiciens que les physiciens. Autre objectif : étudier différentes formulations mathématiques au moyen d’approximations numériques – les simulations sur ordinateur permettent par exemple aux mathématiciens d’établir des résultats théoriques.

Danylo Radchenko souligne la spécificité des productions scientifiques escomptées : « Nous établirons principalement des résultats théoriques, avant tout utiles à la communauté des mathématiciens. Nos travaux ont une portée prospective, dont l’originalité tient dans le rapprochement entre les différents thèmes traités par FourIntExp. Même si nous ne parvenons pas à démontrer l’ensemble des conjectures étudiées, je reste confiant sur les avancées et l’intérêt scientifique des résultats que nous allons produire… ».

Des résultats théoriques utiles à une communauté tout entière

À quelques mois du démarrage de ces recherches, en mai prochain, le mathématicien savoure l’annonce de l’attribution de l’ERC.

La rédaction du projet a nécessité un travail de longue haleine qui a été également l’occasion de réfléchir en profondeur à ses orientations scientifiques. Mes collègues m’ont apporté un soutien précieux durant cette phase, en particulier pour préparer les entretiens avec le jury… Tout cet investissement s’est avéré payant et je suis maintenant impatient d’engager les recherches !

Si le projet va occuper une place centrale dans ses recherches dans les prochaines années, celui-ci ne sera cependant pas son unique centre d’intérêt scientifique. « Je souhaite aussi continuer à me pencher sur d’autres sujets mathématiques pour garder intacte ma curiosité intellectuelle, car je trouve inspirant de prendre un peu de recul : c’est pour moi un facteur de créativité ! », conclut le chercheur avec enthousiasme.