Quelle forêt pour demain ?
Découvrez avec Jonathan Lenoir du laboratoire Écologie et dynamique des systèmes anthropisés (EDYSAN1 ) comment la forêt française s'adapte dans un contexte de changement climatique et de perte de biodiversité. Et comment l’accompagner au mieux, sachant que les arbres plantés aujourd’hui ne deviendront grands que dans 20, 30 ou 50 ans…
- 1EDYSAN - UPJV/CNRS
(Cet article est extrait du dossier « La forêt, un trésor à préserver », paru initialement dans le n° 16 de la revue Carnets de science, disponible en librairie et Relay.)
Comment aider nos forêts à faire face aux nouvelles contraintes climatiques et les protéger de l’extinction ? Les hêtraies cathédrales de Normandie, les forêts de chênes sessiles du Nord de la France, notamment, seront-elles toujours adaptées dans un contexte où les épisodes de sécheresse vont se multiplier ? « Comme tous les êtres vivants, les arbres ont toujours migré naturellement en fonction des bascules climatiques, à raison de quelques kilomètres par siècle, explique Jonathan Lenoir, écologue au laboratoire Écologie et dynamique des systèmes anthropisés (Edysan). Mais le changement climatique actuel est si brutal que pour y faire face, il faudrait qu’ils se déplacent cent fois plus vite ! »
Dans ce contexte, la plantation d’arbres, déjà très pratiquée dans nos forêts de l’ouest européen, pourrait être un outil précieux pour aider la forêt. L’idée générale : plus au nord, planter des arbres déjà adaptés aux conditions chaudes et sèches de régions plus méridionales. Un coup de pouce qui porte un nom en écologie : la « migration assistée d’espèces ». Cette pratique consiste ainsi à déplacer une espèce hors de sa zone de distribution de prédilection. Dans la moitié nord de la France, où les épisodes de sécheresse se multiplient, il s’agit de planter par exemple des chênes verts ou tauzins qui, plus méridionaux, ont besoin de moins d’eau pour s’épanouir que les chênes locaux, leurs cousins sessiles ou pédonculés.
Implanter de nouvelles essences : oui, mais…
Cette stratégie de migration fait déjà l’objet de nombreux tests. À travers le monde, des scientifiques ont créé des common gardens, des espaces où ils font cohabiter des espèces de différentes provenances géographiques. « Nous avons mis en place un réseau de quatre de ces jardins partagés, dans la Sarthe, en Centre-Val de Loire, en Bourgogne et dans le Nord-Est, détaille Alexis Ducousso, généticien à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement. Nous y avons planté 107 populations d’arbres venant de toute l’Europe, avec l’objectif d’évaluer ce “mélange” sur trente ans. Nos résultats montrent notamment que le chêne sessile est particulièrement adaptable : il s’épanouit sans broncher de l’Écosse à la Turquie. De même, le sudiste chêne pubescent peut migrer vers les Hauts-de-France sans trop de problème. »
Mais déplacer des essences de la sorte n’est pas sans risque et les écologues préconisent d’avancer à pas comptés sur le sujet. C’est ce qu’ont montré Jonathan Lenoir et ses collègues dans un récent article publié dans la revue Oikos1 . En se basant sur diverses caractéristiques d’arbres européens et nord-américains (épaisseur des feuilles, teneur en azote, profondeur d’enracinement, taille à maturité, capacité de résistance à la sécheresse…), les scientifiques ont anticipé l’impact qu’auraient des migrations massives d’espèces. Leurs résultats révèlent qu’il serait négatif à plusieurs égards. « En premier lieu, sur l’humidité et la fraîcheur locale que procure une forêt, avertit Jonathan Lenoir. Il faut voir les arbres comme des pailles géantes qui pompent l’eau du sol et la transportent vers la cime via un réseau complexe de vaisseaux conducteurs. Cette eau est non seulement utilisée par l’arbre, mais également redistribuée sous forme de rosée et de vapeur d’eau. Cette brume humidifie l’air ambiant profitant à la faune et à la flore alentour en apportant une fraîcheur salvatrice, notamment pour nous, les humains, en cas de forte canicule. »
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- 1"Assisted migration in a warmer and drier climate: less climate buffering capacity, less facilitation and more fires at temperate latitudes? " R. Michalet et al., Oikos – 19 décembre 2023.