Migration assistée des espèces ligneuses et emballement climatique ?

Résultats scientifiques Ecologie évolutive, environnement et biodiversité

Pour accélérer l’adaptation des forêts de production au réchauffement climatique en cours et futur, l’Homme peut planter à plus hautes latitudes de jeunes semis d’espèces d’arbres et d’arbustes en provenance de régions plus chaudes et plus sèches. Un consortium d’experts en écologie forestière, dont font partie Jonathan Lenoir de l'unité Écologie et Dynamique des Systèmes Anthropisés (EDYSAN1 ) vient de publier un article dans la revue Oikos qui alerte sur les conséquences de ce type de « migration assistée » des espèces pouvant entraîner un emballement climatique.

  • 1EDYSAN - UPJV/CNRS

En résumé

  • Le réchauffement climatique est plus rapide que la capacité de dispersion des arbres. Face à ce constat, la migration assistée par l’Homme a été retenue comme solution d’adaptation.
  • Cependant, le changement drastique de composition des canopées forestières induit par la migration assistée des espèces pourrait favoriser un emballement climatique.
  • Faciliter l’acclimatation des essences forestières indigènes aux nouveaux climats représente une stratégie d’adaptation alternative à investiguer.

Les arbres réagissent au réchauffement climatique en colonisant, par dispersion des graines, germination et installation, de nouveaux espaces répondant mieux à leurs exigences climatiques. Mais la plupart des espèces d’arbres et d’arbustes, pour qui le risque de mortalité augmente à la marge chaude et sèche de leurs distributions, ne pourront pas migrer aussi vite que la vitesse du changement climatique. Avec l’accélération du réchauffement climatique global, la « migration assistée », qui se distingue de l’introduction d’espèces exotiques, est ainsi devenue l’une des stratégies d’adaptation choisies par les filières sylvicoles pour s’assurer que les espèces utilisées en reboisement pourront garantir la résilience des systèmes forestiers. Parmi les différents types de « migration assistée » envisagées, il en existe une qui consiste à « transplanter » à longue distance des espèces indigènes en provenance de régions plus chaudes et sèches. Par exemple, des espèces de chênes sempervirents (à feuillage persistant) – comme le chêne vert présent dans le sud de la France – sont envisagées en substitution des espèces originelles déjà présentes à plus haute latitude en France, comme le chêne pédonculé ou le hêtre. Ainsi, ces espèces, en provenance de régions plus chaudes et sèches, sont transplantées dans des régions au climat actuel plus froid afin de devancer les futurs effets du changement climatique.


Un groupe de scientifiques français a étudié 106 espèces d’arbres et d’arbustes européens et nord-américains concernés par les opérations de migration assistée. Leurs travaux, publiés dans la revue Oikos, montrent que les espèces méridionales plus tolérantes à la sécheresse sont généralement caractérisées par des feuillages persistants et des feuilles plus petites interceptant moins la lumière. Ce changement d’espèces dans les canopées forestières pourrait fortement altérer les écosystèmes forestiers. Une fois introduites plus au Nord, ces espèces devraient diminuer la quantité d’eau transpirée par les arbres ce qui pourrait réduire les effets naturels d’atténuation thermique des forêts. Cela engendrerait un dérèglement de leur bilan énergétique à l’interface atmosphère-canopée qui régule le fonctionnement climatique planétaire, mais également une dégradation du microclimat des sous-bois favorables à la biodiversité. Enfin, la migration assistée des espèces pourrait accroitre le risque d’incendie de forêts suivant le degré d’inflammabilité des espèces transplantées (comme c’est le cas du pin maritime qui est très inflammable), et donc entrainer une augmentation des émissions de dioxyde de carbone liées à la combustion des arbres mais aussi du sol en surface, un compartiment souvent ignoré par les modèles, le tout pouvant favoriser un emballement du réchauffement global. Ces effets seraient particulièrement plus marqués en Europe qu’en Amérique du Nord. Autrement dit, on obtiendrait le contraire exact des objectifs ayant motivé cette stratégie.

Figure : Contraste d’interception de la lumière entre une canopée décidue de chênes (gauche) et une canopée persistante de pins (droite). Ces deux situations illustrent un exemple de migration assistée de pins en remplacement des chênes à plus hautes latitudes en Europe dans le but d’anticiper la rapidité des changements climatiques en cours et futurs avec des conséquences directes sur les microclimats forestiers ressenties sous le couvert, les risques d’incendies et donc sur la boucle de rétroaction pouvant accélérer le réchauffement climatique. © Christopher Carcaillet.
Figure : Contraste d’interception de la lumière entre une canopée décidue de chênes (gauche) et une canopée persistante de pins (droite). Ces deux situations illustrent un exemple de migration assistée de pins en remplacement des chênes à plus hautes latitudes en Europe dans le but d’anticiper la rapidité des changements climatiques en cours et futurs avec des conséquences directes sur les microclimats forestiers ressenties sous le couvert, les risques d’incendies et donc sur la boucle de rétroaction pouvant accélérer le réchauffement climatique. © Christopher Carcaillet.

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Référence

Michalet, R., Carcaillet, C., Delerue, F., Domec, J-C. & Lenoir, J. Assisted migration in a warmer and drier climate: less climate buffering capacity, less facilitation and more fires at temperate latitudes? Oikos, publié le 19/12/23.

Contact

Jonathan Lenoir
Écologue