Deux espèces différentes de fourmis moissonneuses issues d’une même reine

Résultats scientifiques Environnement

Le vivant a toujours semblé suivre une règle simple : un individu ne peut donner naissance qu’à des individus de sa propre espèce. Pourtant, une étude impliquant le laboratoire Evolution, Écologie et Paléontologie (EVO-ECO-PALEO – CNRS / Univ. Lille), publiée dans la revue Nature remet en question ce principe fondamental en révélant que chez les fourmis moissonneuses Messor ibericus, les femelles produisent des individus de deux espèces différentes. Cette exception constitue le premier cas connu d’une espèce devant en cloner une autre pour assurer sa survie.

En résumé

  • Chez les fourmis moissonneuses, les reines doivent cloner des mâles d’une autre espèce afin d’utiliser leur sperme pour produire des fourmis ouvrières.
  • Une même mère donne naissance à des mâles aux génomes et morphologies différents, issus d’espèces ayant divergé il y a plus de cinq millions d’années.
  • Ce mode de reproduction, nommé « xénoparité », montre que deux espèces peuvent être sexuellement interdépendantes au sein d’une même colonie.

Des frères despèces différentes

Une équipe de chercheurs issus de l’Institut des Sciences de l’Evolution de Montpellier (ISEM - CNRS / IRD / Univ. Montpellier), de l’Institut NeuroMyoGène (INMG-AR – CNRS / INSERM / Univ. Claude Bernard Lyon 1) et des laboratoires Écologie des Hydrosystèmes Naturels et Anthropisés (LEHNA - CNRS / Ecole Nationale des Travaux Publics d’Etat / Univ. Claude Bernard Lyon 1) et Évolution, Écologie et Paléontologie (EVO-ECO-PALEO – CNRS / Univ. Lille), révèle un phénomène inédit : des mâles issus d’une même mère de fourmi moissonneuse appartiennent à des espèces distinctes, avec des génomes et des morphologies aussi différents que ceux d’espèces séparées depuis plus de cinq millions d’années. Par exemple, quand un mâle est très poilu, l’autre est presque glabre [imberbe], des critères habituellement déterminants pour distinguer les espèces de fourmis. Fruit de cinq ans de recherche, ce travail a impliqué l’échantillonnage de 120 populations européennes, le séquençage de 400 individus et l’observation de 50 colonies en laboratoire.

Le phénomène de domestication sexuelle

Chez les fourmis moissonneuses, les reines peuvent pratiquer le parasitisme spermatique, utilisant le sperme de mâles d’une autre espèce pour produire leurs ouvrières. Cette technique les rendant dépendantes de ces mâles pour assurer leur reproduction, les reines ont fini par maîtriser la reproduction de ces derniers, de génération en génération, en établissant une lignée clonale domestiquée au sein de leur nid. Désormais, plus besoin de cohabiter avec l’espèce d’origine : les colonies de Messor ibericus produisent seules des millions d’ouvrières hybrides et ont pu colonisé tout le pourtour méditerranéen. 

Frères d’espèces différentes. Ces deux mâles sont pondus par la même mère, en dépit de leurs différences d’espèce d’origine (gauche : mâle Messor ibericus, droite : mâle Messor structor). © Jonathan Romiguier
Frères d’espèces différentes. Ces deux mâles sont pondus par la même mère, en dépit de leurs différences d’espèce d’origine (gauche : mâle Messor ibericus, droite : mâle Messor structor). © Jonathan Romiguier

Un nouveau mode de reproduction

Si l’être humain a su cloner artificiellement d’autres espèces, on ne connaissait jusqu’alors aucun exemple d’espèce animale naturellement capable de cette prouesse, inaugurant ainsi le concept de xénoparité [du grec xeno-, « étranger, différent », et -parité, « enfanter, donner naissance »].

Cette découverte révèle une forme de vie coloniale d’une complexité inégalée, capable de donner naissance à des individus différant non seulement par leur caste et leur sexe, mais aussi par leur espèce. L’évolution avait déjà montré que certains organismes autrefois séparés s’unissent parfois pour former une entité plus complexe — un processus connu sous le nom de transition évolutive majeure en individualité. Dans le cas de la xénoparité, deux espèces sont devenues sexuellement interdépendantes au sein d’une même colonie, illustrant comment une telle transition peut émerger à travers un processus de domestication sexuelle. 

Référence la publication

Juvé, Y., Lutrat, C., Ha, A., Weyna, A., Lauroua, E., Silva, A. C. A., Roux, C., Schifani, E., Galkowski, C., Lebas, C., Allio, R., Stoyanov, I., Galtier, N., Schlick-Steiner, B. C., Steiner, F. M., Baas, D., Kaufmann, B., & Romiguier, J. One mother for two species via obligate cross-species cloning in ants. Nature. Publié le 3 septembre 2025. 

Laboratoires CNRS impliqués 

  • Institut des Sciences de l’Evolution de Montpellier (ISEM - CNRS / IRD / Univ Montpellier)
  • Institut NeuroMyoGène – Appui à la recherche (INMG - AR – CNRS / INSERM / Univ Claude Bernard)
  • Laboratoire d’Ecologie des Hydrosystèmes Naturels et Anthropisés (LEHNA - CNRS / Ecole Nationale des Travaux Publics d’Etat / Univ Claude Bernard)
  • Evolution, Ecologie et Paléontologie (EVO-ECO-PALEO – CNRS / Univ Lille)