Pandémies : l’éternel retour
Les conditions restent propices à l’émergence de nouveaux pathogènes capables de causer des pandémies. La dégradation environnementale et l’accélération des mouvements de personnes et de marchandises s’ajoutent à l’extraordinaire capacité d’adaptation des bactéries, virus et champignons. Un article de CNRS le Journal avec l'implication de Sébastien Bontemps-Gallo, chercheur au Centre d’infection et d’immunité de Lille (CIIL)1 .
- 1CIIL - CNRS/ULille/IPL/CHU Lille/INSERM
Les épidémiologistes sont à nouveau sur le qui-vive. Au cours des derniers mois, des milliers d’otaries ont été retrouvés mortes sur les plages du Chili et du Pérou. La cause : H5N1, la grippe aviaire, un virus que l’on surveille comme du lait sur le feu depuis vingt ans. Depuis sa réémergence en Chine en 2003, on craint qu’il ne soit à l’origine d’une pandémie de grande ampleur. Pour ce faire, il ne manque au virus qu’une chose : la capacité à se transmettre d’humain à humain de manière efficace. Jusqu’à présent, la plupart des infections humaines par cette souche provenaient de contacts avec des oiseaux contaminés.
C’est pourquoi la mort soudaine de tant d’otaries inquiète : une telle mortalité pourrait être le signe que la grippe aviaire s’est propagée d’un individu à l’autre. « Si cela se confirme, ce serait un fait de la plus haute importance, indique Martin Blackledge, directeur adjoint de l’Institut de biologie structurale1 . Cela voudrait dire que le virus est en train de s’adapter aux mammifères. » Et voilà que nos souvenirs de l’atroce année 2020 reviennent nous hanter. [...]
Se protéger de la prochaine vague
Pourra-t-on éviter que la tragédie de 2020 se répète ? Peut-on imaginer un monde sans pandémies ? Bill Gates, l’ex-PDG de Microsoft devenu philanthrope pense que oui, à condition de mettre en place sa nouvelle grande idée : une équipe de chasseurs de virus hyperspécialisée prête à débarquer n’importe où dès l’apparition du moindre foyer épidémique. Si seulement c’était aussi simple… « On pense aux épidémies comme quelque chose qui émerge et se propage rapidement. C’était le cas du Sars-CoV-2. Mais il y a aussi des propagations beaucoup plus lentes, comme les antibiorésistances. Certaines infections sont chroniques, comme le VIH, et il faut des années avant de voir apparaître les symptômes. Quand on les détecte, c’est loin des foyers initiaux », explique Samuel Alizon.
Pour réduire les risques pandémiques, il faut plutôt se tourner vers les bonnes vieilles politiques publiques. Cela passe par l’amélioration des systèmes de santé, en particulier ceux des pays du Sud où l’accès au soin n’est pas toujours acquis. « Les conditions socio-économiques jouent sur l’impact des pandémies. Par exemple, des analyses ont pointé que l’appauvrissement des systèmes de soin en Chine ont pu faciliter la propagation du Sars-CoV-2 », prévient Samuel Alizon. Il faudra aussi améliorer la sécurité des laboratoires classés L3 et L4, ceux qui manipulent des pathogènes dangereux. On sait que les fuites sont possibles.
« L’exemple le plus connu est celui de la grippe dite russe de 1977 qui a tué environ 700 000 personnes. Ce variant est si proche de celui de la grippe dite espagnole de 1918 que la piste de l’erreur humaine fait peu de doute », rappelle le chercheur.
Pour le Sars-CoV-2, il y a un consensus scientifique pour dire que la pandémie est partie du marché de Wuhan. Quant à savoir comment le virus y est arrivé, la majorité des scientifiques penche pour une origine naturelle mais pour d’autres, l’hypothèse de la fuite du laboratoire ne peut pour l’instant être écartée.
Côté prévention, une autre approche prend de l’ampleur. Il s’agit de l’approche One Health (une seule santé). Promue par de grandes organisations internationales comme l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) ou l’OMS, elle provient de ce constat : la santé des populations humaines est intimement liée à la santé des écosystèmes et à celle des animaux d’élevage. Tout dommage fait à l’un est une menace sur l’autre. Serge Morand voudrait démontrer que le corollaire est tout aussi vrai : une action en faveur de l’environnement aura un impact positif sur la santé humaine. Pour cela, il étudie l’impact sanitaire sur la population de 14 communautés de la reforestation des marges d’un parc national de la province de Nan, en Thaïlande. « Nos résultats préliminaires montrent que les espèces sauvages qui s’adaptent à l’Homme, comme les rongeurs, sont en recul. Il semble que l’incidence de la leptospirose et du typhus des broussailles soit en diminution », indique Serge Morand. Ainsi, la meilleure façon de réduire les risques de pandémie est d’entreprendre les actions qui permettront de freiner l’érosion de la biodiversité, de réduire la pollution, de limiter l’impact des systèmes agricoles et de mitiger le changement climatique.
La peste : la menace continue
Yersinia pestis n’a pas fini de nous faire peur. Le bacille de la peste, celui-là même qui, au XIVe siècle, a tué entre 30 et 50 % des Européens, fait partie des 16 pathogènes à surveiller en priorité selon l’ANRS/Maladies émergentes, une agence autonome de l’Inserm. « La peste a une grande capacité à réapparaître là où on la croyait disparue », explique Sébastien Bontemps-Gallo, chercheur au Centre d’infection et d’immunité de Lille, qui s’intéresse aux mécanismes moléculaires de l’adaptation de la bactérie à son vecteur, la puce afin d’identifier des cibles thérapeutiques pour un éventuel vaccin ou un médicament. « Elle est revenue récemment en Algérie et en Lybie. Aux États-Unis, elle cause quelques dizaines d’infections tous les ans. En Chine, elle réapparaît de temps en temps, ce qui oblige au confinement de villes entières ». Mais c’est à Madagascar où elle reste la plus dangereuse. Elle y a trouvé chez le rat des rizières et leurs puces un réservoir naturel grâce auquel elle circule à bas bruit. Elle peut cependant y redevenir épidémique, comme en 2017, lorsqu’elle a tué 171 personnes en quelques mois. Comme tous les pathogènes, Yersinia pestis évolue. « À Madagascar on a trouvé des souches multi-résistantes aux antibiotiques. » Une raison de poids pour ne pas perdre le pathogène de vue.
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- 1Unité CNRS/CEA/ Université de Grenoble Alpes.