La théorie de la décision comme modèle pour la construction de politiques rationnelles, en période de crise sanitaire

Résultats scientifiques Economie/gestion

La prise de décisions des pouvoirs publics durant une pandémie peut s’avérer extrêmement difficile. Lorsqu’il s’agit d’une nouvelle maladie ayant des répercussions mondiales sans précédent, comme c’est le cas de la Covid-19, les décisions sont prises dans un environnement très incertain, complexe et en rapide évolution. Alors que des vies humaines et que l'économie sont en jeu, l'utilisation de règles dérivées de la théorie de la décision pourrait aider les gouvernements à faire face à l'incertitude inhérente aux décisions liées à la pandémie de Covid-19 et à justifier les décisions prises, conduisant ainsi à une élaboration de politiques plus rationnelles et transparentes. Développée par une équipe de recherche pluridisciplinaire internationale, dirigée par Loïc Berger, chargé de recherche CNRS au sein du laboratoire Lille Économie et Management (LEM, UMR9221, CNRS / Université de Lille / IÉSEG School of Management), en collaboration avec le prix Nobel d’économie Lars Peter Hansen, cette analyse a fait l’objet d’une publication dans la prestigieuse revue scientifique PNAS.

La pandémie de Covid-19 met en évidence les problèmes de décision auxquels sont confrontés les gouvernements et les organisations internationales. Les décideurs politiques sont chargés de prendre des mesures pour protéger leur population de la maladie alors même qu’ils manquent d'informations fiables sur le virus lui-même, ses mécanismes de transmission ou encore l'efficacité des mesures possibles et leurs conséquences sanitaires et socio-économiques (aussi bien directes qu’indirectes). Une décision politique rationnelle devrait pouvoir combiner les meilleurs éléments scientifiques disponibles — généralement fournis par des avis d'experts et des études de modélisation. Toutefois, dans un environnement incertain et en constante évolution, les preuves pertinentes peuvent manquer, ce qui rend alors difficile la production de prédictions scientifiquement fondées des différents plans d'action envisageables.

Au cours des derniers mois, une grande attention a été prêtée à la manière dont les décideurs politiques ont géré l'incertitude dans leur réponse à la Covid-19. Ceux-ci ont été confrontés à des vues très différentes sur les scénarios potentiels d’épidémie et les mesures à prendre. Face à une telle incertitude, certains d’entre eux ont  tenté d’adopter des mesures résultant d’un compromis entre des perspectives alternatives des uns et des autres ; d’autres ont adopté pleinement l’une de ces vues sans se soucier du fait que cela puisse donner une fausse impression de certitude quant à l’état de nos connaissances. Cette tendance à ne suivre qu’une seule vision — ou, plus généralement, cette incapacité à gérer l'incertitude — peut conduire à négliger des informations précieuses provenant de sources alternatives et, donc, à mal interpréter l'état de l'épidémie, conduisant potentiellement à des décisions sous-optimales, qui peuvent mener à des conséquences potentiellement désastreuses.

Dans un article paru dans la revue scientifique PNAS, Loïc Berger, chercheur CNRS au sein du laboratoire Lille Économie et Management, et ses collègues soutiennent que les principes issus de la théorie de la décision constituent des outils précieux pour améliorer les décisions prises durant la pandémie de Covid-19. Les auteurs proposent un cadre général pour comprendre et guider la prise de décision sous incertitude dans le contexte de la pandémie. Ils montrent ensuite comment les règles de décision formelles peuvent guider l'élaboration des politiques publiques, ce qu’ils illustrent avec un exemple de prise de décision de fermeture des écoles.

Ces règles de décision donnent la possibilité aux décideurs politiques de reconnaître qu’ils ne savent pas lequel, parmi les nombreux scénarios potentiels, est le plus fiable et d’agir en conséquence en prenant des décisions prudentes. Pour terminer, les auteurs discutent de nouvelles orientations possibles afin de définir une approche plus transparente pour communiquer les connaissances scientifiques. Cela peut, par exemple, passer par l’élaboration et l’adoption de mesures standards pour évaluer et communiquer le degré de certitude des principaux résultats.

Référence

Berger L., Berger N., Bosetti V., Gilboa I., Hansen L.P., et al. 2020, Rational Policymaking during a Pandemic, PNAS.

Contact

Loïc Berger
Chargé de recherche CNRS, Lille Économie et Management