Les nouveaux voyageurs du centre de la Terre

CNRS le journal Chimie Environnement

Lorsque Jules Verne publie son Voyage au centre de la Terre, en 1864, la dynamique terrestre est encore incomprise. Puis, en un siècle et demi, les géosciences vont révéler la structure interne du globe. Récit d’une incroyable saga scientifique. Un article de CNRS le Journal avec la participation de Nadège Hilairet, chercheuse CNRS à l’Unité matériaux et transformations (UMET - CNRS/ULille/Inrae/Centrale Lille).

La seconde moitié du XIXe siècle est une période charnière du progrès scientifique. En quelques décennies seulement émergent certaines des grandes théories sur lesquelles va se développer la science du XXe siècle, comme l’électromagnétisme, l’hérédité ou la théorie de l’évolution. Un domaine semble toutefois demeurer à la traîne : les géosciences.

Au XIXe siècle, notre connaissance de la dynamique terrestre et de la structure du globe paraît bien limitée. Les naturalistes qui s’intéressent à ces questions peinent encore à se détacher de la parole biblique, dont la chrono­logie est parfaitement incompatible avec celle attendue pour les grands phénomènes géologiques. Les scientifiques se heurtent par ailleurs à un problème technique : l’exploration de l’intérieur du globe terrestre.

Cette gravure d’Ambroise Tardieu, datée de 1817, témoigne de la représentation qu’on avait du relief en surface, avant la découverte du mécanisme de la tectonique des plaques : de gigantesques plis dus à la contraction thermique accompagnant le refroidissement du globe.
Cette gravure d’Ambroise Tardieu, datée de 1817, témoigne de la représentation qu’on avait du relief en surface, avant la découverte du mécanisme de la tectonique des plaques : de gigantesques plis dus à la contraction thermique accompagnant le refroidissement du globe. © Source : The Wellcome Collection

À l’époque, les entrailles de la Terre sont totalement inaccessibles. Les seules « ouvertures » que l’on envisage alors sont les grottes mystérieuses, ou encore les volcans d’où s’écoule de la roche en fusion. Ce volcanisme semble indiquer qu’une chaleur extrême règne au centre de notre planète. Des mesures réalisées dans les mines suggèrent que la température augmente d’environ 30 °C par kilomètre de profondeur. Ainsi naît l’idée que l’intérieur de la Terre est une énorme masse en fusion.

Dans les entrailles d’un volcan

Cette théorie d’un feu central est alors en vogue, car elle permet d’expliquer les éruptions volcaniques, les tremblements de terre, mais aussi le relief en surface. Le mécanisme de la tectonique des plaques étant inconnu à l’époque, on imagine que les montagnes seraient de gigantesques plis résultant de la contraction thermique accompagnant le refroidissement du globe, à l’image d’une vieille pomme ridée. Ces idées émergentes, encore peu diffusées auprès du grand public, vont cependant bénéficier d’un coup de projecteur inattendu. 

Le 25 novembre 1864, Jules Verne, écrivain déjà renommé, publie Voyage au centre de la Terre, roman qui rencontre un vif succès. À travers un récit palpitant – deux géologues et leur guide s’aventurent dans les entrailles d’un volcan islandais en espérant atteindre le centre de la Terre –, Verne évoque des théories, notamment sur la composition interne du globe, qui agitent les scientifiques.

Aujourd’hui, Voyage au centre de la Terre est davantage considéré comme un roman d’aventures que comme une référence scientifique. Et pour cause : en 160 ans, les choses ont considérablement évolué et les géosciences ont, elles aussi, pu faire leur révolution.

La découverte du noyau

Les sciences de la Terre ont grandement profité des évolu­tions technologiques qui ont émaillé le XXe siècle. Le développement d’appareils de mesure, tel le sismomètre (pour suivre et analyser la propagation des ondes mécaniques produites notamment lors des séismes), va permettre l’émergence d’une nouvelle discipline, la sismologie.

râce à celle-ci, on peut imager et caractériser de plus en plus finement la structure interne du globe : la croûte, en surface, puis le manteau, qui se révèle être solide, et non liquide, comme on le pensait. La sismologie – plutôt qu’une expédition humaine – finira par mettre en évidence le noyau qui se trouve au centre de la Terre.

« C’est la sismologue Inge Lehmann qui, en 1936, grâce aux ondes sismiques, révèle l’existence, au centre de la Terre, d’un noyau liquide entourant une graine solide, explique James Badro, chercheur CNRS à l’Institut de physique du globe de Paris . Si la sismologie a permis de faire ce bond en avant, la compréhension de plus en plus précise de ce qu’est réellement le noyau va cependant nécessiter l’apport d’autres types de données, notamment expérimentales. » La boîte à outils des géoscientifiques s’est en effet considérablement enrichie depuis les simples instruments emportés par Axel et le professeur Lidenbrock dans le roman de Jules Verne.

« Pour reproduire les pressions gigantesques qui règnent dans le noyau, nous utilisons ce que l’on appelle des ”cellules d’enclumes à diamant”, décrit James Badro. On ne peut appliquer ces pressions que sur de très petits échantillons, de seulement quelques micromètres. Mais c’est suffisant pour observer comment se comporte un métal entouré de silicate dans ces conditions et pour en tirer des conclusions sur la composition du noyau terrestre. »

Une équipe de l’Observatoire volcanologique du piton de la Fournaise (OVPF) installe 14 sismomètres sur le cône principal du volcan de l’île de La Réunion. Objectifs : améliorer la compréhension des mécanismes éruptifs et observer l’activité du volcan.
Une équipe de l’Observatoire volcanologique du piton de la Fournaise (OVPF) installe 14 sismomètres sur le cône principal du volcan de l’île de La Réunion. Objectifs : améliorer la compréhension des mécanismes éruptifs et observer l’activité du volcan. ©Thibaut Vergoz / UMS-IPGP / CNRS Images

Des séismes en laboratoire

Dès les années 1950, ces systèmes expérimentaux, qui reproduisent en laboratoire les incroyables pressions et températures régnant dans les profondeurs terrestres, vont permettre de connaître la rhéologie de roches soumises à de telles conditions.

« La rhéologie est une discipline fondamentale, mais relativement peu connue, des géo­sciences modernes. C’est elle qui nous permet de comprendre comment les roches terrestres s’écoulent comme un liquide aux échelles de temps géologiques, alors qu’elles se comportent comme des solides sur des échelles de temps de l’ordre de la seconde, précise Alexandre Schubnel, chercheur CNRS au Laboratoire de géologie de l’École normale supérieure de Paris. La rhéologie nous permet notamment de comprendre pourquoi les séismes ont lieu. »

Pour étudier la mécanique des séismes, le chercheur a développé des instruments qui permettent de déformer de petits échantillons de roches soumis à des pressions et des températures similaires à celles régnant dans la lithosphère terrestre (de 0 à 150 km de profondeur) et d’observer la façon dont les roches se déforment, se compriment et se fissurent.

Étudier les propriétés physiques des minéraux

Cette « sismologie de laboratoire » fournit des résultats particulièrement importants pour mieux comprendre l’occurrence des séismes et mieux s’y préparer, à défaut de pouvoir les prévoir. « Je pense que nous sommes encore très loin de pouvoir prédire de manière déterministe les séismes », concède Alexandre Schubnel.

À gauche, une enclume à diamant, avec au centre une illustration d’un échantillon de roche soumis à des pressions et à des températures similaires à celles qui règnent au sein du noyau. À droite, un échantillon de métal de silicate fondu, avec le fer fondu (en jaune), les éléments légers qui y sont piégés (points noirs) et les silicates (en bleu).
À gauche, une enclume à diamant, avec au centre une illustration d’un échantillon de roche soumis à des pressions et à des températures similaires à celles qui règnent au sein du noyau. À droite, un échantillon de métal de silicate fondu, avec le fer fondu (en jaune), les éléments légers qui y sont piégés (points noirs) et les silicates (en bleu). © James Badro, CNRS / IPGP

Nadège Hilairet, chercheuse CNRS à l’Unité matériaux et transformations (UMET - CNRS/ULille/Inrae/Centrale Lille), à l’université de Lille, utilise de tels dispositifs expérimentaux pour caractériser la ­déforma­tion subie par les roches au sein du manteau : « Ces observations à l’échelle microscopique permettent d’étudier les propriétés physiques des minéraux, comme la viscosité et la plasticité, et de savoir quel minéral influence le plus la déformation dans des conditions spécifiques. Ce sont des données qui permettent de mieux contraindre les modèles de convection mantellique, par exemple, ou encore l’origine des séismes dans les zones de subduction. » Des données précieuses pour mieux comprendre l’histoire de la Terre et de sa formation.

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